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ARTIKKULATION(S)
26 janvier 2005

Chose promise, chose dûe : voici le début de

Chose promise, chose dûe : voici le début de DERNIER WESTERN

CHAPITRE 01

« Chaque chose a une fin. » Voilà la dernière phrase qu’il entendit. Le cliquetis de la gâchette lui fit lever un sourcil, et son visage vola en éclat. Les secondes, puis les minutes se ralentirent en un long plan fixe filmé au ralenti. Il s’écrasa face contre terre. Le sable rougit sous lui. Le dernier acte se jouait enfin. L’air sifflant força quelques volutes de poussière à s’envoler, me bouchant la vue un instant. Un pas en arrière. La chaleur du capot contre ma main me fit lâcher l’arme. Je ne me souviens de rien d’autre.
J’adore les films qui commencent par la fin. C’est le point le plus facile à fixer quand on raconte une histoire. Ce qui fait la différence entre la vraie vie et le cinéma, c’est qu’il est bien plus dur de trouver un début aux histoires vraies. Car, après tout, quand tout cela a-t-il débuté ?
Aussi loin que je remonte dans ma mémoire, il ne me semble pas avoir jamais eu la moindre raison qui puisse expliquer ma présence ici, au beau milieu du désert, avec les restes de ce qui fut le visage de cet homme étalés sur le pantalon. Mais pourquoi chercher des causes à ce que l’on fait ? Le faire est déjà suffisamment compliqué comme cela.
Je ne sais pas si je suis quelqu’un de bien.
Ceci étant, tenter de le devenir à toujours été une de mes préoccupations majeures. Etre aimé, aimant, respecté, entouré…tous ces petits témoignages d’affection et d’attention qui vous confortent dans l’idée que ce que vous faites est juste, droit, allant de soi.
L’angoisse de la solitude. Voilà ce qui me poussait à agir ainsi. La peur de se retrouver face à soi même, de cette confrontation décisive, du moment où l’on se pose la question, les yeux dans ses yeux : alors ? Es-tu ce que tu voudrais être ? La simple idée qu’un jour la réponse à cette question puisse être négative me terrorisait tant que je pris une décision. A six ans. Devant mon miroir. Je me suis expliqué avec moi-même, me jurant de respecter l’image que j’avais de mon avenir. Puis j’ai fait mes adieux à mon reflet. J’éviterais désormais tout affrontement introspectif, marchant toujours auprès de quelqu’un.
Mon enfance se rythma alors en de petits rituels et manies indécelables pour l’œil non informé. Je passais un temps record seul. Je m’entourais d’un solide groupe d’amis à l’école, et ne lâchait pas mes parents d’une semelle dès mon retour à la maison. Je ne m’endormais qu’auprès d’eux, réclamant des histoires, des chansons, des jeux jusqu’à l’épuisement. Les seuls instants que j’étais forcé de ne pas partager étaient expédiés à toute vitesse.
Mes temps libres, lorsqu’ils n’étaient pas passés en compagnie de mes camarades de jeux, furent l’occasion pour moi de longues séances de lecture. Je dévorais tout et n’importe quoi, des encyclopédies de ma mère, professeur de sciences, aux magazines musicaux de mon père, contrebassiste de jazz. J’avais, sans les avoir saisis, lu Ginsberg et Kerouac à 10 ans.
Mon autre occupation devint par la suite de suivre mon père dans ses répétitions. Les musiciens qui l’entouraient me traitaient comme un membre de la famille. Ils me fascinaient. Dans un local enfumé, ils passaient l’après-midi à préparer le concert du soir.
Au milieu de la pièce se tenait Aldo, le batteur. Tout le monde avait les yeux et les oreilles rivées sur lui. Etant le cœur et la colonne vertébrale de chacun des morceaux, il était donc normal qu’il se retrouve au centre. Face à lui, mon père faisait friser les cordes de sa contrebasse, retombant toujours sur ses pieds malgré les libertés acrobatiques qu’il s’accordait. Le reste du quatuor se composait de José, un émigré mexicain, à la guitare et de Lars, un saxophoniste suédois. Cosmopolite, le band aimait marier les influences liées aux origines ethniques de ses membres. Le résultat obtenu fut une des clés de leur succès. Repérés par diverses sommités du monde jazz, leur popularité augmentait à vue d’oeil, tout comme les kilomètres qu’il fallait désormais faire pour aller jouer aux quatre coins du pays.
C’est durant ces concerts, alors que nous les suivions Maman et moi, que j’ai pris mes premières photos. Avec un vieil appareil, donné par mon père pour m’occuper le temps des balances. Les premiers résultats furent assez bons, pour un gosse de douze ans. Des gros plans sur les mains de mon père courant plus vite que l’œil de l’appareil le long de sa contrebasse. Le visage crispé d’Aldo entretenant le tempo de toutes ses forces. Ce fut lui le premier à voir en moi un photographe. J’avais fait développer quelques clichés d’un concert dans un club jazz parisien plutôt branché. Je n’osais toujours pas montrer mon travail à qui que ce soit. J’ignore s’il s’agissait de timidité ou bien si j’avais trop peur d’exposer mon orgueil aux remarques négatives. Quoi qu’il en soit, une paire de ces photos tomba de la poche de ma veste, devant Aldo. Ils les ramassa et les observa durant un long moment. Doucement, il les remit dans ma veste. Ses yeux brillant d’amusement, il ne dit rien et me prit dans ses bras.
Je ne savais pas trop quoi penser de cette étreinte. Toujours est-il qu’Aldo en toucha deux mots à mon père, qui me harcela par la suite durant plusieurs semaines avant que je n’accepte de lui montrer ce que je faisais. Ma mère était déjà ma plus grande fan. Mon père ne comprenait alors pas pourquoi lui ne pourrait pas admirer mes œuvres. Il ne voyait pas que c’était bien plus facile de me dévoiler à ma mère qu’à lui, l’artiste de la famille, le seul à même de me conforter dans cette voie où de m’en dégoûter à vie.

[to be continued]

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